Renforcer la résilience face aux risques immatériels dans le domaine de la transition écologique
Les questions écologiques ont progressivement été intégrées d’une manière ou d’une autre par toutes les parties de la société. Elles ont constamment représenté autant de défis que d’opportunités. Les aléas climatiques apportent une dimension très nette de crise avec ce qu’elle comporte de préventions, de gestion de crise et d’actions post-crise. Le risque immatériel induit croit donc à mesure de cette prise en compte. Nous l’illustrons par trois moment clés : la décennie 1970, 2007 et nos jours.
La très forte croissance d’après-guerre avait vu apparaître des alertes comme celle exprimée par le club de Rome qui avait financé le rapport Meadows publié en 1972 et intitulé les limites à la croissance. Des mouvements politiques ou associatifs prenaient corps et existent toujours et se renforcent. Des conférences internationales se multiplient et déclinent les concepts et les ambitions. En même temps, la commission sociale du CNPF rejetait sèchement la volonté du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) de définir une notion nouvelle : l’« entreprise citoyenne ».
L’année 2007, marque un tournant dans la prise de conscience. Jacques Chirac nous alerte : « la planète brûle ». Les médias s’emparent définitivement et fortement du sujet. Puis à leur tour, les politiques de tous les bords, non les seuls spécialisés, s’engagent sur des actions fortes. La plupart des candidats à la présidentielle de 2007 signeront le Pacte écologique de Nicolas Hulot.
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement qui suit l’élection, les pouvoirs publics, les associations, les experts et les entreprises décident ensemble de centaines de mesures environnementales sur un champ très vaste dans une culture du développement durable. Cette culture très positive, tout à fait à l’opposé de l’écologie punitive, cherche à ne pas opposer croissance et environnement, écologie et développement social. Au-delà des mesures sectorielles décidées et très substantielles, le cadre général, pour les entreprises, est la notion de responsabilité sociale des entreprises, la RSE, qui sort fortement renforcé. Les entreprises et plus généralement les acteurs ont compris que les lignes avaient bougés.
Depuis, les entreprises ont progressé considérablement. De nombreuses mesures les concernent toutes directement ou indirectement : recyclage, écoconception, ISO 14001, Taxonomie verte, compensation carbone. Dans le cadre de la RSE, encore renforcé en 2019 par la loi Pacte (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), le « comment » et le « avec qui » pèse autant que le « quoi ». L’exercice de transparence extra-financière s’est renforcé. Toutes les parties concernées savent l’essentiel de l’action des acteurs économiques.
En parallèle, hélas et presque paradoxalement, la situation politique autour de la transition écologique s’est plutôt dégradée ou au minimum s’est complexifiée. D’un côté, tous les partis politiques ont des propositions, des projets, des actions locales très concrètes concernant l’environnement. Mais de l’autre, des extrémistes politiques discréditent certaines actions aussi bien dans l’arène politique traditionnelle que dans le cadre contestataire. Par ailleurs, les questions d’acceptabilité sociale ont pris une dimension accrue du fait de la montée en puissance des effets économiques et sociaux des politiques environnementales. Une trop faible prise en compte de l’acceptabilité fait rejeter par une partie de la population des mesures. C’est le cas de la fiscalité environnementale par les bonnets rouges puis les gilets jaunes.
Un autre phénomène a pris une ampleur particulière ; ce sont les dynamiques directes de consommateurs et de citoyens. Elles prennent des formes diverses. On peut penser au comparateur de qualité de nourriture Yuka, aux différents labels Bio, Max Havelaar pour le commerce équitable. On peut penser aux associations intéressés par le climat qui vérifie les affirmations de neutralité carbone des entreprises.
Une affirmation imprudemment émise peut-être qualifié de greenwashing. Il existe des « guides anti greenwashing », des « manuels pour déceler le vert du faux ». Un calcul trop simpliste sur son bilan carbone peut valoir une polémique. Une politique de gestion de déchet d’une entreprise peut être un sujet de débat et une cause d’appel à boycott. Ce sont autant des risques immatériels pour l’ensemble des acteurs. Ils peuvent, en outre, présenter des effets dominos. Un problème d’abord localisé peut ensuite migrer dans la chaîne de la valeur ou dans la société.
A plus long terme, le pivotement des organisations internationales, des institutions, des états, des collectivités locales vers la transition écologique constitue autant de risques immatériels très réels pour ceux qui n’anticipent pas ces changements. Prenons quatre exemples. En décembre 2019, un accord a été conclu entre le Parlement européen et le Conseil sur la création de la toute première « liste verte » du monde — un système de classification des activités économiques durables ou taxonomie. Cela contribuera à renforcer les investissements publics et privés pour financer la transition vers une économie verte et neutre pour le climat, en réorientant les capitaux vers des activités économiques et des projets réellement durables. Rater ce train peut être une tragédie pour de nombreux secteurs. C’est d’autant plus dommageable que des mesures d’accompagnement existent.
Autre exemple, « Un euro sur deux du budget de l’Ile-de-France sera dédié à l’écologie ». « Plutôt que d’interdire et de contraindre, on veut faciliter et inciter les comportements écologiques », argue le vice-président en charge de l’écologie et du développement durable du conseil régional d’Ile-de-France. Ce sont de réelles évolutions globales. Deux derniers exemples : 30 milliards d’euros dans le plan de relance d’un montant de 100 concernent la transition écologique. Finalement, notons que les propositions intitulée COVID-19: La Grande Réinitialisation, du World Economic Forum, qui organise Davos, place l’environnement au centre du village : « Une seule voie nous mènera vers un monde meilleur : plus inclusif, plus équitable et plus respectueux de Mère Nature. »
Le sujet de risque immatériel existe donc sur plusieurs angles. Le premier concerne la protection de sa réputation : il est devenu impossible de ne pas se positionner par rapport à la transition écologique. Le deuxième est lié à la très vaste complexité induite par le cadre des politiques publiques environnementales. Ce sont autant de risque de non-conformité. Le troisième est lié aux ressources humaines : la génération qui vient est attirée par les valeurs de l’entreprise. Pour attirer les talents et les garder, dans un monde concurrentiel, il faut donc évoluer pour séduire les jeunes et leur montrer que l’entreprise défend leurs valeurs. La dernière raison, moins tangible, vise à créer une valeur partagée. Autrement dit, l’entreprise, qui existe dans une société et un écosystème, peut difficilement éviter les évolutions structurelles. Cela limiterait sa prospérité.
Antoine-Tristan Mocilnikar, Ingénieur général des mines au Service du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité