L’IA, l’avenir mondial – Pour une politique économique européenne du nouvel immatériel
De toutes les formes d’activité humaine, la musique est de loin la plus intéressante à étudier pour anticiper l’évolution du monde. Petite musique de nuit avant l’aube, bruits précurseurs d’une révolution, immatériel privatisé par le concert annonçant l’avènement de la bourgeoise, propriété intellectuelle piratée par Napster, la musique permet d’entrevoir les organisations politiques, sociales et économiques en devenir. Jacques Attali l’a brillamment résumé dans Bruits, ouvrage publié l’année de ma naissance.
L’économie contemporaine fait beaucoup de bruits. Mais si on porte un regard attentif sur son épine dorsale, on y voit un squelette immatériel : La Data. Fuel de l’Intelligence Artificielle, elle aussi immatérielle, la Data est le moteur de tous les modèles économiques, toutes les innovations majeures des années à venir.
Enfant de la post-guerre froide, de l’essor libéral, de la fin de l’Histoire, j’ai été bercé aux sons des premiers modems, quand Internet a émergé en 1992, aux mélodies de Nevermind de Nirvana, groupe de grunge emblématique de Seattle. Seattle, c’est le berceau de Microsoft et d’Amazon, au nord de la Californie où bronzent les développeurs d’Apple, Google et Facebook.
Ces 5 entreprises, avec plus récemment les BATX, sont la moelle épinière de tous les modèles économiques à venir, qui reposeront sur l’une de leur plateforme cloud. Chez Microsoft, en écrivant mes lignes de codes, en vendant mes premiers contrats de licences, en écrivant mes premières spécifications fonctionnelles, un casque sur les oreilles, j’ai assisté au fil des années à une privatisation tout aussi étonnante que celle de la musique au fil des siècles : Celle des données personnelles, Big Data, tout aussi immatériels et précieux.
L’économie contemporaine se dessinait : Sur un fond mélodieux et jovial de services gratuits, j’ai vu chaque État mondial, dont le mien, devenir progressivement le pétrole de Google et Facebook, dont le modèle économique consiste à privatiser vos données personnelles pour entrainer des algorithmes, qui ont pour but de vous faire acheter plus, mieux ; de stimuler votre dopamine à cadence calculée ; d’orienter vos choix. On amalgame souvent à tort les GAFAMs : Amazon et Microsoft, en tout cas dans leurs activités Cloud, n’ont pas le même modèle économique : Le leur consiste à monétiser un service d’infrastructure (IaaS), de plateforme (PaaS) ou bien d’application (SaaS). Vous achetez le produit dans ce cas et n’êtes pas, comme avec Google et Facebook, le produit qui est vendu.
Qu’on se comprenne bien ici : Il ne s’agit pas seulement d’un secteur économique fortement valorisé : L’industrie de la Tech, au premier rang de laquelle Google (Search, Android, YouTube) et Facebook (Instagram, WhatsApp) figurent, sont les piliers de la nouvelle économie mondiale. Au sommet de la chaîne de valeur, leur stockage et calcul (Cloud d’infrastructure), leur cybersécurité (identité, applications, serveurs, etc.), leurs IA (auditives, visuelles, textuelles), les Big Data que nous leur offrons sans contrepartie, ces leaders mondiaux sont le cœur même de tout ce qui va suivre. L’innovation produit (connecté, intelligent), l’optimisation de processus (par le machine learning), les interfaces des objets eux-mêmes (IoT, Android, iOS) auront durablement pour socle les Clouds publics américains et progressivement chinois.
La bonne nouvelle est ici : La France est un pays de mathématiques. Un pays de recherche. Elle a pris conscience jusqu’aux sommets de l’État de l’importance vitale de créer une autonomie, une souveraineté numérique, en impulsant un projet de cloud souverain, en dynamisant un écosystème via les French Tech, via les grands défis technologiques impulsés par le rapport C. Villani notamment.
L’autonomie immatérielle, celle de la Data et des IA doit devenir un impératif européen. Cette autonomie se construira par le rapatriement de talents en data science, en développement, en management et innovation produit ; également par une politique de fonds d’investissement européennes plus coordonnées et focalisées, avec l’aide des instances européennes.
Nous avons toute latitude pour entrainer nos propres IA avec nos données business, santé, collectivités, cybersécurité colossales. Toute latitude pour réunir nos fonds d’investissement et créer les licornes d’un immatériel réinventé, plus éthique, plus mature, plus responsable. Les licornes qui seront les garantes de l’autonomie de tous les autres secteurs de l’économie : maison, bâtiment, voitures, écoles, hôpitaux, hôtels… connectés et intelligents. L’Europe est l’autre puissance mondiale en devenir, qui doit dès à présent affirmer et consolider sa volonté de faire émerger les prochains leaders numériques mondiaux.
Thomas Kerjean, CEO – Mailinblack
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