Comment intégrer les risques intangibles des longues chaînes d’approvisionnement
La « mondialisation » a offert des gains de productivité importants, par la concentration des moyens de production d’une offre standardisée, et des gains de coûts par le transfert vers des pays ou les pressions salariales et régulatoires étaient plus faibles. Ce sont des gains très tangibles. Mais qu’en est-il des éléments intangibles, en particulier les risques liés à la chaîne d’approvisionnement ? La crise actuelle liée au Covid-19 vient brutalement les mettre en évidence, mais il est trop tard pour éviter les coûts qu’elle induit. Pourquoi en sommes-nous là ? Il faut à la France et à l’Europe une réflexion sur l’importance d’une analyse plus poussée des risques intangibles, qu’ils soient liés à la longueur des chaînes d’approvisionnement, aux risques géopolitiques, ou à tout autre risque systémique.
Rappelons que le capital intangible est une promesse de bénéfices futurs qui n’apparaît pas au bilan, et qui est difficile à contrôler. Le risque intangible est son pendant : une exposition à des pertes futures qui n’est pas quantifiable par les méthodes classiques d’analyse de risque basées sur des études statistiques à cause de la nature rare et aléatoire des événements créant ce risque.
Les approches de comparaison des coûts les plus communes sous évaluent le coût des risques tout au long de la durée de vie du produit. Les risques sont identifiés, mais comme ils sont peu matériels, dans un environnement concurrentiel qui discounte fortement les risques futurs par rapport aux gains présents, ils sont rapidement effacés des paramètres de décision. En Europe, les moyens de production ont dû fermer, avec un coût intangible lié à la déconstruction du tissu économique non inclus dans l’analyse. En Asie, nous avons créé des chaînes d’approvisionnement longues qui ont concentré des risques intangibles systémiques également mutualisés.
Certains proposeront un rôle accru pour la puissance publique, qu’elle soit nationale ou européenne. Est-ce une solution ? N’est-ce pas remplacer un risque intangible par un autre, tout aussi intangible ? Une approche législative offre un cadre rassurant, mais s’accompagne souvent de nouvelles complexités de gestion. Elle apporterait un bénéfice au profit d’un groupe déterminé, mais qui en contrepartie imposerait à l’ensemble des contraintes qui alourdissent et freinent le dynamisme économique, une charge invisible et donc intangible pour les rédacteurs et les bénéficiaires.
Bien sûr il y aura toujours un sourcing dans des pays à faible coût, aujourd’hui l’Asie du Sud-Est, peut-être demain l’Afrique, mais l’équilibre entre chaînes d’approvisionnement locale et lointaines doit se construire grâce à la prise en compte des risques intangibles. Nous avons besoin de nouvelles idées, « pouvoir de vivre sainement, avec un futur porteur d’espoirs » tout en conservant la liberté d’entreprendre, sans tomber dans l’inflation de régulations servies par des couches administratives peu efficaces… La crise est donc une opportunité de réfléchir à notre relation avec les « Best Cost Countries », un défi pour nous tous.
Michel Philippart est Professeur Supply Strategies à l’EDHEC, spécialisé dans les relations client-fournisseur. Il y mène également des projets sur les technologies disruptives comme l’intelligence artificielle. Il contribue activement aux travaux de la Médiation des Relations Fournisseur Responsables et à la Charte et au Label « Relations fournisseurs et achats responsables » avec le Ministère de l’Economie. Diplômé Ingénieur Métallurgiste de l’Université de Liège, d’un MBA de Kellogg NWU et d’un DBA de l’Université Paris Dauphine, il combine 25 ans d’expérience en conseil (BA&H, McKinsey) et en entreprise (PepsiCo, GSK) à son engagement académique.
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